Benoit Poelvoorde nous explique en deux minutes la difference entre le cinema belge et le cinéma français …
Au-delà de la caricature entre les deux pays, il décrit plutôt assez bien la différence entre une grande et une petite organisation. Dans une petite organisation, le comportement par défaut est la coopération, l’entraide, qui nécessite une hiérarchie plate par définition, sinon l’entraide s’arrêtera au statut de chacun : « un premier assistant ne déplace pas une voiture voyons ! ». Outre le « tous égaux » des petites structures, Benoit Poelvoorde remarque aussi que cet artisanat rime avec pauvreté de moyens, développant le sentiment que chaque contribution est décisive pour la survie du groupe.
Dans une grande structure au contraire, la caractéristique est une hiérarchisation forte. Lorsque nous sommes nombreux, les sciences de l’organisation nous indiquent de diviser le territoire en autant de baronnies, partiellement responsables de quelque chose. Cet empilement des territoires augmente souvent la distance des opérationnels et des responsables intermédiaires (un tous les 7 employés environ) à la réalité du client, et ce faisant les déresponsabilise : « que m’importe que cette voiture quitte le champ, l’important est que je préserve mon rang, donc certainement pas en m’abaissant à un travail manuel ».
Il y a quelques mois, ma femme, Directrice adjointe de crèche, a vu embauchée « au-dessus d’elle » une coordinatrice (pour 4 établissements dans la commune, poste d’encadrement venant s’empiler sur deux niveaux hiérarchiques existants ..). Le souci principal de la crèche est le nombre d’assistantes maternelles effectivement présentes, avec des problèmes récurrents de recrutement et d’absentéisme. La coordinatrice réclame quant à elle encore plus de reporting, centralise les entretiens, bientôt les quelques achats et donc diminue encore la performance globale de la crèche car elle rallonge des process clés comme le recrutement et génère de nouvelles tâches administratives. Son salaire permettrait d’embaucher deux éducatrices, résolvant l’essentiel des problèmes. Mais l’on a préféré miser sur l’encadrement…
A l’opposé de l’artisanat, l’industrie, riche de moyens, attise le sentiment que plus aucune contribution n’est décisive pour la survie du groupe : « qu’est-ce qu’il a à gueuler ce client soit-disant insatisfait ? il y en a des milliers d’autres qui ne se plaignent pas ! » (on peut remplacer client par employé, ça marche encore).
Ainsi – et c’est la caractéristique principale d’une bureaucratie – la défense des territoires y devient un objectif plus important que l’intérêt général de l’entreprise, sa survie. Car ce rapport de force moyenâgeux entre services se superpose à la traditionnelle séparation entre penseurs et faiseurs, autre caractéristique des bureaucraties, et qui induit les refrains aliénants que nous avons tous entendu ou prononcé : « on m’a dit de .. on nous oblige à .. on peut rien faire, c’est décidé là-haut .. », etc. (à ce sujet, vous reprendrez bien une cuillerée à soupe d’Éloge du Carburateur de Matthew Crawford). La lutte territoriale fait quant à elle se dresser, du sol au plafond, de la soute au palais; les comptables contre les acheteurs contre les études contre la production contre les vendeurs … chacun désireux de maximiser sa performance locale, insensible à la performance globale : « mes achats de roulement à bille augmentent les délais de fabrication et le taux de défaut de nos produits ? m’en fout, ils augmentent mon bonus car ils sont 15% moins cher que ceux précédemment utilisés ! ».
Pratiquement toutes nos grandes entreprises ou administrations affichent ces deux attributs : défense des territoires et séparation penseurs/faiseurs. Mais voyageons un peu … J’ai eu la chance de rencontrer Mark Striebeck de Google, personnage qui illustre assez bien la culture d’entreprise. En 5 ans il a diffusé la culture du test automatisé dans les produits Google et ainsi modifié la pratique quotidienne de milliers d’ingénieurs. Au lieu de créer une grande direction des Tests Automatisés, il s’est efforcé au contraire d’autonomiser ses pairs, de ne pas se rendre indispensable, de diffuser plutôt que régir … Google est riche et gros pourtant, donc l’argument « industriel » précédent ne tient pas ou du moins n’est pas une fatalité ! Mais quel différence ont-ils alors ? Pour mieux comprendre, relisons un extrait de leurs conseils aux futurs recrues :
When asked if there was a type of person who didn’t fit in at Google, Power noted that applicants who are more concerned with their titles and the number of people they will manage — in essence, those who more concerned with what Google can do for them, rather than what they can do for Google — did not fare as well as those who are interested in the challenges the company is facing and how they can help.
“Google is a very cross-functional, collaborative company. [Those who are concerned with] the territory they are going to own and manage has at times been a signal that they are not going to fit,” Power says. “We’re looking for people who are attracted to the long-term mission at Google, not a stepping stone to the next level in their careers,” he adds.
Bon sang ! L’absence de valorisation des territoires est inscrit dans leur ADN, il fait partie de leur culture… Malheureusement on ne décrète pas une culture. Ou alors on se paye de mots, de schémas directeurs, de chartes, de codes de conduite bien rangés dans l’armoire à process, comme nous le rappelle le fondateur de 37Signals. On ne peut qu’encourager des comportements, année après année, et créer ainsi une culture. Si vous faites confiance et que vous valorisez la confiance, elle fera partie de votre culture. Si vous valorisez exclusivement la compétition …
On s’est donc trompés sur le management ! On cherchait des chefs guerriers en compétition, il nous faut des pairs bienveillants ayant un sens aigu de l’intérêt général. On cherchait LA solution imaginée par nos penseurs, elle doit être ré-inventée tous les jours par nos faiseurs. On cherchait à sanctionner les erreurs, elles sont structurelles à l’amélioration continue et réclament le questionnement plus que l’opprobre et le refoulement … |
Alors que faire demain matin dans votre grande entreprise ? Rien et nous participons, vous, moi, à plus ou moins haute dose, à la bureaucratie.. comme chef de service, de département, coordinateur de truc, directeur de machin, responsable transverse. Ou alors, nous décidons de changer en premier. Nous demanderons alors à être vraiment responsable de quelque chose, peut-être de plus petit, mais réellement responsable, d’un produit, d’un service, face à des clients dont on acceptera le difficile jugement. Clients finaux de l’entreprise ou clients internes d’un système d’achat, d’un système de recrutement .. Visant des résultats concrets dont nous pourrions parler dans un an. Pour dégager du temps, nous ferons également plus confiance à nos troupes en passant moins de temps à les contrôler ou à trouver des solutions à leur place, mais plutôt en les aidant à résoudre leur problème de manière autonome : « qu’est- ce que je peux faire pour toi ? », plutôt que » fais-ci » ou « pourquoi n’as-tu pas fais comme cela ? ». Ce faisant, nous accepterons de diluer ce qui constituait notre fonction dans des équipes rendues autonomes.
Mais pour sauter le pas, il faudrait avoir confiance…La crise va nous obliger à changer. Mais, ce changement réclame la confiance dans le fait que nous conserverons un emploi, même si nous changeons de posture. Or l’insécurité ambiante produit l’inverse. Comment sortir de ce paradoxe ?
Alors faisons un voeu pour l’année 2012, que des dirigeants pionniers garantissent un pacte d’amélioration continue supprimez votre poste, vous êtes promu !
Pour ceux qui veulent poursuivre sur ce thème, ils trouveront dans L’Informatique Conviviale un mode d’emploi détaillé et romancé pour un cadre informatique ..
Joyeuses fêtes à tous !
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